Entretien avec Aurélie Helaine, directrice du salon de coiffure Kokliko à Caen (Calvados)

C’est dans une matinée froide et brumeuse que je suis allée poser quelques questions à Aurélie, cheffe d’entreprise, directrice du salon de coiffure Kokliko, à Caen.

C’est avec elle que je commence une nouvelle série d’articles sur mon blog. J’ai envie de donner la parole aux entrepreneurs qui me touchent dans leurs choix, chez qui je remarque les mêmes valeurs que je prône dans mes formations sur l’auto-management et dans les accompagnements en changements professionnels.

 Aurélie m’a très gentiment reçue autour du poêle à granules de son salon, confortablement installées dans deux fauteuils vintage personnalisés, devant une tasse fumante de bon café. La première question que je lui ai posée concerne l’origine de son projet.

T. – Comment est née l’idée de ton projet et quand ?

A. – J’ai eu une expérience salariée très jeune, qui a été formatrice, j’y ai vécu une ambiance familiale que je voulais retrouver plus tard. En 2007, à seulement 23 ans, j’achète un salon suite à un départ en retraite. Un salon classique, qui avait comme clientèle des petites mamies. Des questionnements ont suivi pendant deux ans, sur la composition des produits, les colorations notamment, et sur leur impact sur les cheveux et la peau de mes clients et également sur l’environnement. En 2011, je décide que mon salon, Kokliko, proposera des colorations végétales et en 2014 qu’il sera tout végétal et j’entame ma reconversion vers une idée de la beauté compatible et complémentaire avec le respect de la nature. Aujourd’hui j’ai huit salariées, dont une apprentie.

T. – J’ai identifié une certaine cohérence dans les choix et les actions que tu as mis en place : beaucoup de meubles de récupération qui ont été adaptés à l’esprit du salon ; utilisation et vente de produits naturels et respectueux de la nature ; couleurs végétales ; accompagnement vers la couleur naturelle (cheveux gris et blancs) ; coupe vibratoire au rasoir ; fournisseurs locaux et français en grande majorité ;  chauffage par énergie renouvelable ; toilettes écologiques ; recyclage des cheveux grâce aux projets Capillum et Coiffeurs justes ; énergie électrique d’origine renouvelable ; collecte de mèches de cheveux naturels pour des projets solidaires, … Comment vis-tu cette cohérence, comme un guide dans tes choix ou comme une imposition vis-à-vis d’une image à tenir ?

A. – Mmmh, ce serait plutôt un guide, car dans les moments de choix, lorsque je me pose pour réfléchir sur la direction à donner, je m’aperçois que cette cohérence m’aide. Je me laisse porter, cela se passe au fur et à mesure, au gré des rencontres. Je me propose une discipline qui est de revenir sans cesse aux valeurs de bases, de me poser la question tous les jours, car notre société connaît une évolution rapide, il n’y a qu’à regarder les réseaux sociaux sur lesquels je suis très peu, pour voir comment ça tourbillonne. J’ai besoin de prendre du recul, en me reconnectant simplement à la nature, aux fondamentaux et de me fier à mon instinct. Par exemple, parmi mes futurs objectifs, il y a celui de développer encore davantage l’accompagnement à la sublimation de la beauté naturelle. Aujourd’hui nous le faisons surtout pour le passage de la couleur aux cheveux blancs. À ce sujet, nous avons eu un très bel article de Kaizen, en 2020, qui a mis en évidence cet aspect de notre travail. Toujours pour respecter l’ADN de mon salon, je privilégie, des partenariats avec des associations locales, transparentes et créatrices d’emploi. Comme Capillum, une association qui recycle des cheveux, que je soutiens.

T. – Ce qui m’a frappé, en premier, chez Kokliko, a été que tu as transformé ce qui, de nos jours, est considéré comme un obstacle, la pose longue de la couleur végétale, de presque une heure, comme un atout. Elle est un vrai moment de détente, dans une ambiance cosy, autour du poêle à granules l’hiver et sur la terrasse à l’abri des regards, en été, avec une petite bibliothèque dans laquelle il est possible de piocher un livre, avec des boissons de saison. As-tu fait face à d’autres challenges, au cours de ta carrière professionnelle, où tu as su transformer un obstacle en un atout cohérent à l’esprit de ton salon ?

A. – (Rire) Dans ma vie personnelle cela m’arrive tous les jours de transformer un obstacle en enseignement ou moment privilégié. En fait, je trouve que c’est tellement logique pour moi de sublimer. Il est vrai que j’ai eu beaucoup de retours positifs sur les idées de détente que j’ai mis en place, parfois des clients se retiennent de s’endormir, refusent un plaid, quand je m’aperçois qu’ils en ont envie. Ma philosophie est que, du moment où c’est respectueux, on peut le faire. Pourquoi ne pas faire mieux quand cela ne coûte à personne ?

T. – J’ai remarqué que, dans ton équipe, il y a plusieurs profils d’entrepreneuses, des personnes qui sont ou qui ont été cheffes de leur propre entreprise, or, lors de rencontres professionnelles avec d’autres dirigeants, je me suis aperçue que c’est un profil que beaucoup hésitent à intégrer à l’équipe : qu’est-ce que ce genre de profil apporte à ta façon de manager ?

A. – Oui, c’est vrai. Mes salariées ont toutes un profil différent, c’est une équipe hétéroclite et il y a une proportion de cheffes d’entreprise plutôt remarquable, 50 % d’entrepreneuses ou d’ancienne cheffes d’entreprises. Je trouve le mélange intéressant, riche, même si challengeant. J’ai même eu le cas d’une apprentie et d’une salariée qui sont parties, chacune de leur côté, s’installer près du salon et dont une est revenue, par la suite, comme salariée. Une histoire un peu atypique. Dans ce genre de décisions, qui comportent souvent une remise en question, je n’ai pas hésité à me faire accompagner par un coach en énergétique, qui m’a aidée à savoir ce qui était réellement important pour moi et à vivre ces situations à travers une introspection salutaire.
Je comprends les craintes que l’embauche de salariés ayant un profil de dirigeant puisse faire naître, elles sont justifiées. Nous pouvons choisir de dire non ou de les nourrir. Dans ma vision de manager, je préfère ne pas écouter ces craintes, car je trouve que les profils de décisionnaires sont moteurs et vont équilibrer les profils qui sont moins dans la force de proposition, qui préfèrent être des exécutants. Ces profils peuvent avoir plein d’idées intéressantes et me poussent à être bien alignée avec mes valeurs pour pouvoir exprimer ma décision. Je leur donne une place de moteur, puisqu’elles ont un leadership, tout en respectant leur place de salariée, puisqu’elles ont ce rôle dans mon projet. Ma façon de manager se fait à la demande, j’essaie de ne pas être trop présente, tant qu’il n’y a pas de demande de la part des membres de l’équipe, je ne réponds pas, j’attends que la demande soit formulée.

T. – Quel est ton type de management ? Quelles sont tes zones de confort et tes zones de défis dans le management que tu as choisi ?

A. – Je ne suis pas une manager qui coache. On me dit que j’ai une grande capacité d’écoute, d’organisation, d’observation. Je me considère plutôt comme une facilitatrice, car chacun se révèle à lui-même. Ici chaque salariée choisit ses horaires, ses journées de repos et ses congés, elles sont autonomes et je les invite à écouter leur rythme. J’ai mis en place un entretien individuel pour chacune une fois par an, une réunion d’équipe tous les deux à trois mois, quand c’est la bonne énergie. Lorsque je sens une démotivation j’évite les réunions, je me fie à mon instinct, en général. À chaque réunion nous commençons par la météo intérieure, le plus souvent possible, sinon massage ou temps calme. Il y a quelques années, nous avons rédigé ensemble une charte d’engagement (NdR : dont vous trouverez quelques extraits ci-dessous), que j’ai ensuite finalisée. Nous l’avons envoyée aux clients par courriel sous forme de lettre ouverte, avec une mise à jour des forfaits et en expliquant nos motivations. Quand je vois que quelqu’un de mon équipe ne va pas bien, je lui laisse du temps pour venir vers moi. Parfois la situation évolue toute seule. Parfois, j’interviens, cela dépend du profil que j’ai en face. Il m’est plus facile d’aller vers les nouvelles qu’avec mes salariées de longue date, car avec l’âge et l’expérience je n’accueille pas les nouvelles de la même façon d’il y a quelques années, j’évolue, j’ajuste, mais mon équipe sait qu’elles peuvent venir vers moi. Je prends du temps pour réfléchir, puisque je me connais et je sais que c’est indispensable à mon fonctionnement. Et je dis bien que mon silence ne vaut pas caution, mais réflexion.
En fait je me rends compte que tout est cyclique, les cheveux obéissent à des cycles, et l’entreprise aussi. Je suis la gardienne d’un espace professionnel et de relations professionnelles, après, certaines relations professionnelles peuvent déboucher sur des amitiés personnelles, c’est sûr. Mais, je suis persuadée que je ne peux pas tout régler, je ne peux pas changer les êtres humains, chacun est différent et j’adopte différentes stratégies selon mon interlocuteur.

T. – L’année dernière, en pleine situation de crise sanitaire, l’équipe des Kokliko girls s’est mobilisée autour d’un projet solidaire d’entreprise. Dans les accompagnements aux changements professionnels, et dans la gestion de ma propre entreprise, je prône les bienfaits de la solidarité d’entreprise comme un projet fédérateur car il fait sens, quand elle est sincère. Quel est ton retour sur ce type de projet ?

A. – Je trouve qu’il y a une beauté dans la cohérence d’une équipe. Je suis arrivée à un point de ma vie où je veux donner plus de place à ma vie privée, je ralentis mon rythme. C’est Émilie, une de mes coiffeuses, qui m’a parlé de cette idée, et je l’ai écoutée. Elle a été également chef d’entreprise. Nous avons proposé, un mardi du mois de février 2021, aux étudiantes et étudiants caennais, une coupe et un coiffage pour seulement 5 €. Presque 70 clients se sont succédés ce jour-là. L’équipe était au grand complet, même celles qui étaient de repos sont venues travailler au salon, l’adhésion a été unanime.

Le salon Kokliko se trouve à Caen, au 15 rue des Croisiers, en plein centre-ville. Je vous invite à visiter leur site internet pour en savoir davantage.

T. – Merci, Aurélie !

CHARTE D’ENGAGEMENT – Extraits

Je m’engage envers moi-même :

Je cultive ma réflexion et ma sensibilité
Je suis en accord avec les valeurs éthique, écologique et humaine du salon (conseils produits, conversations, comportements)

Je m’engage envers ma clientèle :

Je prends soin d’elle pendant toute la durée de son rendez vous
Je garde à l’esprit que j’offre un moment d’exception

Je m’engage envers mes collègues :

Je prends le temps chaque matin, d’un vrai bonjour (la bise et le regard).
Je cultive la sérénité et la bienveillance envers mes collègues